Vendanges
Arrangé en de fous, vagabonds reflets d’or,
Un ardent soleil lourd, lumineux, au coeur chaud,
S’étire fauve, roux, vainqueur, sur nos coteaux.
La mémoire du temps, ombre des jours si beaux
Nourris d’air sec, s’égraine d’un pas noble, fort.
La vigne s’enivre des rayons prometteurs,
Digne elle mûrit en silence, chaque heure.
Les feuilles étalées sous le vent bleu frissonnent,
Car il nous vient un souffle tiède de l’estuaire
Livrant au voyageur l’esprit de cette terre.
C’est le temps béni où reviennent les vendanges.
Le soleil a tout fait et l’homme n’est plus là.
Un matin différent, sans parfum et sans flamme,
Abandonne la place, s’enfuyant sans voix...
De hautes machines ont remplacé les bras,
Voici qu'à présent la vigne a perdu son âme!
Et là, au coeur des rudes mémoires anciennes
De ceux qui aujourd’hui encore se souviennent,
Les tâches laborieuses, dures, sont rangées.
Rejaillissent du sol les haleines cuivrées
Au goût de soufre de ces cueillettes passées.
Elles envahissent les esprits et les yeux,
En vapeurs brunes et sauvages, nostalgiques...
Un flot aride, moqueur, un cri métallique.
Heures courageuses, souvenirs silencieux.
Il y avait des rires dans ces jours de peine
Pendant que le doux jus des grappes, belles reines,
Se métamorphosait, dans la moiteur des chais,
En un enfant joyeux courant dans les palais.
C’était là les premiers chants charmants de l’automne.
C’était le temps béni où vivaient les vendanges.
Les raisins rubis, cueillis, portés à dos d’homme,
Comme raison précieuse, comme une couronne,
Devenaient, au soir naissant, fête généreuse.
Le sang divin se buvait dans la bouche pieuse,
Il y avait d’eux dans ce miracle guetté.
Quand la tête était chaude, l’oubli dans les veines,
Venait en vagues folles l’écume d’amour...
L’étreinte était dans le bleu chancelant la reine
Étendue heureuse sur le drap de velours.
La nuit les étoiles au firmament brillaient...
Extrait de mon recueil Gironde (1998)